Essays

Cathy Jardon, 2013

French Version
Deutsche Version

Cathy Jardon

Issus des matériaux traditionnels de la peinture : châssis / toile / couleurs, mes peintures sont une variation de formes simples : lignes, carrés rectangles, grilles… Ce vocabulaire élémentaire géométriques est toujours le même depuis 2003. Le résultat, par opposition, d’une toile à l’autre doit être dynamique et aussi souvent que possible renouvelé.

Prendre des risques, ne pas craindre les mimétismes.

Au modèle artisanal, les outils et les gestes sont, eux aussi, toujours les mêmes. En découle la délimitation des formes qui est stricte et sans retour. Même brisées ou cassées, elles sont toutes rigoureusement calculées. Il n’y a pas de place au hasard ou à l’erreur. Tout est pensé en amont. L’expérimentation n’est pas permise, la surproduction encore moins. Cette volonté d’optimiser l’acte de peindre me guide, structure et construit le travail aussi bien lors de mes recherches préliminaires qu’au cours de la réalisation de la toile. Concernant les couleurs qui ne peuvent être maîtrisées par la raison, il n’est ni question d’harmonie, ni de disharmonie. Encore moins de mes goûts. Leur rayonnement dépasse les dogmes, les théories, mes avis. Contrairement aux formes, elles ont toutes les libertés. Parfois bruyantes et envahissantes, les couleurs résonnent, se répondent librement. Les laisser agir, grandir et activer le tableau.

Le décalage des lignes, l’assemblage réfléchi d’éléments dépareillés, de couleurs sans accointances, suggèrent plus qu’ils ne revendiquent, et non sans précaution, la volonté irrévocable de miner l’édifice. Ne pas contenter le regard. L’inconfort parfois. Souvent la sensation vibratoire de la forme. Le travail bien fait, c’est celui qui défait proprement ce qu’il est censé produire.

La peinture doit trembler sur ses bases, vaciller, défaillir, fendre l’armure. La vie des formes et leur évolution dans le tableau : l’avant, le pendant, enfin le résultat. De l’idée au rendu plastique : que reste-t-il à voir ? Que s’est-il passé ? Les formes ainsi figées traduisent pourtant un mouvement (éboulement, effondrement, souffle, aspiration etc.)

Quel est ce mécanisme de composition ? Est-ce là, la construction d’une déconstruction ou la déconstruction d’une construction ? Le jeu des contraintes et des contraires est l’élément fondateur. Non sans ironie, je joue des paradoxes, des enjeux et des tourments de la peinture, ainsi que du sens et de la pertinence de l’abstraction géométrique aujourd’hui.

Cathy Jardon

Deutsche Version

Die von mir verwendeten Materialien bestehen aus den traditionellen Werkzeugen der Malerei: Keilrahmen / Leinen/ Farben. Meine Werke sind eine Variation, die aus einfachen Formen besteht: Linien, Vierecke, Rechtecke, Gitter …. Dieses elementare geometrische Vokabular ist seit 2003 immer noch dasselbe. Im Gegensatz zum Ergebnis, welches möglichst dynamisch sein soll und stetig eine Steigerung vorweist. 

Ich gehe Risiken ein und fürchte mich nicht vor den Mimetismen. 

Das Handwerk und die Gesten bleiben, ebenso wie beim handwerklichen Model, die Gleichen. Dadurch entsteht eine strikte Abgrenzung der Formen. Ob zerbrochen oder kaputt, sie sind stets haargenau kalkuliert. Da gibt es keinen Platz für Zufälle oder Fehler. Alles ist ganz genau durchdacht. Das Herumexperimentieren ist nicht erlaubt, noch weniger die Überproduktion. Meine Arbeit basiert auf dem Wunsch, die Malerei soweit es geht zu optimieren, dieses Streben nach „Vervollkommnung“ leitet, strukturiert und baut meine Werke, sowohl während der Anfangsrecherchen als auch während der Realisierung der Bilder. 

Es geht mir bei den Farben, die der Verstand nicht nachvollziehen kann, in keinster Weise um Harmonie oder Disharmonie. Meine eigenen Geschmäcker sind nicht gefragt. Das überwältigende Strahlen der Farben überschreitet meine eigenen Ansichtspunkte sowie jegliche Theorien und Dogmen. Im Gegensatz zu den Formen dürfen die Farben alle Freiheiten genießen. Sie dröhnen nach außen, schallen vor sich hin und interagieren untereinander. Zum Teil erscheinen sie stürmisch, zum Teil einnehmend. Ich lasse sie handeln, sich vergrößern, um das Gemälde in Schwung zu bringen. 

Die Verschiebung der Linien, die gewollte Assemblage ungleicher Elemente und zusammenhangloser Farben vermitteln den unwiderruflichen Willen, das Bauwerk zu untergraben. Der Blick des Betrachters wird nicht unbedingt befriedigt, es entsteht sogar eine gewisse Unbequemlichkeit, und die vibrierende Empfindung der Formen sprechen für sich. Eine gelungene Arbeit ist im Grunde genommen eine, die es schafft, sorgfältig das auseinanderzunehmen, was sie ursprünglich bewirken sollte. 

Spannend erscheint mir das Leben der Formen und ihre Evolution innerhalb eines Bildes: das Vorher, das Während, endlich das Resultat. Von der Idee zur plastischen Umsetzung: was bleibt dem Betrachter schließlich übrig? Was ist geschehen? Die erstarrten Formen vermitteln nichtsdestotrotz eine Bewegung (der Einsturz, der Zusammenbruch, der Hauch, das Atmen, etc.) Welches ist der Mechanismus dieser Komposition? Handelt es sich um die Konstruktion der Dekonstruktion oder um die Dekonstruktion einer Konstruktion? 

Der Hauptbestandteil meiner Arbeit ist, dieses Spiel zwischen Einschränkungen und Gegensätzen zu erforschen. Mit einem Hauch von Ironie spiele ich mit Paradoxen, Herausforderungen und den Qualen der Malerei und beuge mich dem Sinn und der Relevanz der heutigen geometrischen Abstraktion.

Franz Erhard Walther, 2011

English Version
French Version
Deutsche Version

The Face of Images

Images as a manifestation of painting. Painting as a manifestation of images. Thinking in painting, of which the outcome is images. Thinking in images whose fundament is the element of painting. 

Cathy Jardon occupies this artistic space with powerful reflection. It is disconcerting that the choice of shapes and colours appear impulsive and spontaneous whereas the features within the images suggest a highly elaborated work concept. But a second look at the paintings reveal the moment of spontaneity. Shapes in particular and in general are related to one another in such a way that they constitute a compelling image which would gain nothing from complex calculations. 

The audacious assembly of a solid construction of forms, in association with complementary emotional work, gives a certain tension to the images which allows us to imagine a dialogue between shapes that belongs exclusively to art and elements from the artist’s background. 

Also, the action of creasing and creating reliefs that result in the perturbation of uniform form-structures has an important role to play. Form-argumentation, both different, even opposed, unite in a surprisingly pertinent manner. Equilibrium and non-equilibrium are auto-neutralised in the works. The entity gained from fragment of images, incarnates the mastery of form. 

It is thus that a singular world of image is created, a world which converses with the history of abstract art. The project of a wall of painting in reference to the dimensions transposed from the glass structure opposite holds the promise of more to come. Modulating real space with “space-image”. The existing rough outlines of this approach can only heighten our expectations.

L’aperçu des images

Traduction par Ursula Urson 

Les images en tant que manifestation de/de la peinture. La peinture en tant que manifestation de l’image. Penser en peinture dont découlent des images. Penser en images dont les bases sont les éléments de la peinture. 

Cathy Jardon occupe cet espace artistique avec une grande force de réflexion. Il est troublant que la décision prise quant aux formes et aux couleurs soit impulsive et spontanée, alors que la physionomie de l’image suggère un concept de travail hautement calculé. Mais le second regard sur les peintures dévoile le moment de spontanéité. Les formes prises séparément et dans leur ensemble se lient de telle sorte que se constitue une conception d’image convaincante. Aucun des plus savants calculs ne parviendrait à ce résultat. 

L’assemblage audacieux en une solide construction de formes, associé au contrepoids émotionnel, prête aux images une tension qui nous laisse imaginer un dialogue entre des formes appartenant uniquement à l’art et à des éléments biographiques de l’artiste. 

Aussi, le geste du plissement en tant qu’élément perturbateur des formes-structures nettes joue un rôle important. Les deux, formes et argumentations, qui sont différentes voire opposées, confluent finalement avec pertinence. 

Equilibre et déséquilibre cohabitent dans le tableau. L’intégralité, constituée de fragments d’images, est garante d’une maîtrise de forme. En cela se constitue un monde d’images particulier qui dialogue avec l’histoire de l’art abstrait 

Le projet d’un mur de peinture se référant aux dimensions reportées de la vitrine opposée en promet plus : moduler l’espace réel par « l’espace-image ». Les esquisses vues à ce sujet suscitent des attentes.

Der Blick der Bilder

Bilder als Manifestation von/der Malerei. Malerei als Manifestation des Bildes. In Malerei denken, die Bilder zum Resultat hat. In Bildern denken, welche die Elemente der Malerei zur Grundlage haben. 

Cathy Jardon bewegt sich mit hoher Reflexionskraft in diesem künstlerischen Aktionsraum. Es verblüfft, daß die Form-und Farbentscheidungen impulsiv und spontan geschehen, da doch ihre Bildphysiognomie ein hochkalkuliertes Arbeitkonzept nahe legt. Doch der zweite Blick auf die Bilder enthüllt den Moment des Spontanen. Die Einzelformen und die Gesamtform verbinden sich so, dass eine überzeugende Bildgestalt entsteht, die über ein, wenn auch noch so kluges Kalkül, nicht zu gewinnen wäre. 

Die Anmutung von festem Formbau und dem emotionalen Dagegenarbeiten verleiht den Bildern ein Spannung, die uns einen Dialog zwischen allein der Kunst zugehörender Formen und biographischen Momenten der Künstlerin denken lässt. 

Hier erhält auch die Geste der Faltung als Störung klarer Formstrukturen ihr Gewicht. Die beiden unterschiedlichen, ja gegensätzlichen Formargumentationen fließen, überraschend gültig, zusammen. 

Balance und Nichtbalance, aufgehoben im BILD. Die Ganzheit, gewonnen aus Bildfragmenten ist Beherrschung der Form. Dabei entsteht eine eigene Bildwelt, die sich im Dialog mit der Geschichte der nicht gegenstandsbezogenen Kunst befindet.

Gilles Dusouchet, 2010

French Version

Au cours de ses années d’études, à l’Ecole Nationale supérieure d’Art de Dijon puis à la Hochschule für Bildende Kunst de Hambourg, Cathy Jardon dit avoir été « touchée le plus par ce qu’elle comprenait le moins ». Réceptive à ce qui lui résistait. Elle vient alors de la filière technique, option maroquinerie, puis tapissier-décorateur, tout en séchant les cours, préférant passer ses journées à l’école d’arts plastiques municipales d’Autun. Le directeur lui laissait les clés, le soir. Elle montrait des aptitudes pour le dessin, de quoi céder à ce qui l’attendait, à des pratiques artisanales. Mais non, plutôt se dissoudre dans l’inertie, recomposer le tableau. Elle apprend l’allemand, captée par ses sonorités, souffre de l’oisiveté des provinces. Les passerelles manquent pour s’en échapper. Elle prend une chambre en ville, bocal propice à la lecture. Plus tard, « La leçon d’allemand » de Siegfried Lenz fournira un ressort intime à sa résolution de peindre. Pour le reste, tout dépend de la mise en situation, de l’emplacement qui permet les rencontres. Enseignants, plasticiens, voisins de table. Les nommer, c’est montrer son jeu. A Dijon, Bernard Metzger, Hubert Besacier, John Batho, Martine Le Gac. A Hambourg, un Franz Erhard Walther qui fait entrer l’artiste dans l’œuvre, puis la classe de Daniel Buren à la KunstAkademie de Düsseldorf. Jalons didactiques et sensibles, empreintes désignant le chemin parcouru. 

Cathy Jardon commence à peindre en 2003. Et s’y engage par la porte étroite de l’abstraction géométrique. Pour support, la toile-châssis. Un choix élémentaire, et solitaire. Qui, parmi ses condisciples d’alors, emprunte ce biais formel pour questionner la peinture ? Qui, dans sa génération (elle est née en 1979), s’intéresse de près à la déconstruction entreprise, au tournant des années 1960/70, par les membres du mouvement Support Surface ? 

Et d’abord, peindre. 

Medium traditionnel, mieux considéré Outre-Rhin que chez nous. Parce que l’on s’y forme comme apprenti. Un métier. Atelier, matériaux, outils. Cathy Jardon assumait là sa biographie, non pour s’y résoudre mais pour l’interroger, la déloger dans ses replis aveugles par le truchement de la peinture, en dehors de tout sujet. Pas de prétexte dilatoire. La main à l’ouvrage et l’œil pour compas. Or l’on sait aujourd’hui combien la main peut former la pensée, et le regard s’y conformer. Chez Cathy Jardon, le travail bien fait, c’est celui qui défait proprement ce qu’il est censé produire. Il ne s’agit ni de bâcler ni d’obéir. Et pas davantage de contenter le regard. L’inconfort prévaut. Y compris dans l’exécution du tableau. Le croquis préparatoire, ne sert qu’à gagner du temps. Ne pas se laisser prendre de vitesse par le temps. Cathy Jardon trace et fait face, ne lâche rien, ne jette quasiment pas. Ni rebuts ni repentirs. Elle économise le matériel. Et ce qui est fait n’est plus à faire. Compulsif mais pas répétitif. La loi des séries n’est pas la sienne. A chaque fois, s’y prendre autrement. Pas forcément mieux mais là n’est plus la question.

Dennis Driffort, 2010

French Version
Deutsche Version

La peinture et son contraire…de toutes pièces

En perpétuel devenir, tel un kaléidoscope, la peinture de Cathy Jardon s’emploie à échapper à tout enfermement dans une seule définition en repoussant sans cesse les limites imposées par ses matériaux, qu’ils soient physiques ou abstraits. Comme des pages d’exercices, ses toiles sonnent comme des “ possibles “ des variations de formes, lignes, grilles, motifs qui affirment autant qu’ils interrogent ce qui est énoncé… 

Si la méthodologie, l’analyse et les références s’avèrent indéniablement présentes, l’artiste sait préserver cette dose de curiosité, de spontanéité et d’étonnement qui autorise des hypothèses parfois provocatrices, paradoxales, contradictoires ou iconoclastes mais toujours pertinentes… 

Il faut de l’énergie et du courage pour reprendre “ encore “ les outils conventionnels du Peintre. 

Il faut surtout et d’abord savoir “ écouter la Peinture “ avec discrétion et humilité avant de prétendre lui reprendre la parole… 

Pourtant, même si la peinture a souvent dit une chose et son contraire, Cathy Jardon prouve qu’elle n’a pas dit son dernier mot… 

Die Malerei und ihr Gegenteil … völlig neu erschaffen

Im ewigen Werden wie ein Kaleidoskop strebt die Malerei von Cathy Jardon danach, einer Festschreibung auf eine einzige Definition zu entkommen, indem auferlegte Grenzen durch die verwendeten Materialien, ob physisch oder abstrakt, verschoben werden. 

An Übungsskizzen erinnernd, wirken ihre Gemälde wie Möglichkeiten, Variationen von Formen, Linien, Gittern, Motiven, die etwas ausdrücken und das Ausgesagte gleichsam hinterfragen. Auch wenn die Vorgehensweise, die Untersuchung und die Bezüge entschieden und unbestreitbar sichtbar sind, schafft es die Künstlerin ein Maß an Neugierde, Spontaneität und Erstaunen zu bewahren, das manchmal provokante, paradoxe, widersprüchliche oder unkonventionelle aber immer treffende Hypothesen zulässt… 

Es braucht Energie und Mut, um die konventionellen Werkzeuge des Malers wieder aufzugreifen. Vor allem und zunächst muss man die Fähigkeit besitzen der Malerei mit Diskretion und Bescheidenheit zu „zu hören“, bevor man danach strebt, ihr das Wort zu nehmen. 

Zahlreich sind die Schwätzer und die, die sich auf diesem Gebiet gerne selbst zuhören… Dennoch, auch wenn die Malerei oft eine Tatsache und ihr Gegenteil ausgedrückt hat, beweist uns Cathy Jardon, dass sie nicht ihr letztes Wort gesprochen hat…

Pierre Giquel, 2009

French Version
Deutsche Version

Quand l’abstraction perd le tête…et ses moyens

Chaque décennie voit ses docteurs au chevet d’une prétendue maladie inconcevable, en tout cas inédite, entraînés à diagnostiquer, apporter des conclusions souvent contradictoires, proposer viatiques et conseils, délivrer le cas échéant d’imparables remèdes. A l’image de ces impatiences médicales, l’art semble emboîter parfois le pas à ces misérables danses de Saint Guy. Ainsi le vingtième siècle aura vu les commentaires s’affoler fiévreusement au chevet de la peinture. Qui n’a pas souri devant les certitudes énoncées à propos de la mort de la peinture ? Inquiet du désistement des artistes à préférer tel ou tel medium, de leur lassitude. De leur désespoir à abandonner ces terres défrichées par des aînés aussi anciens que nos viles grottes. Mais nombreuses et nombreux sont celles et ceux qui usèrent de suffisamment de ruse, d’énergie, d’humour pour entraîner la dite perdue à des volteface spectaculaires ou plus discrètes, en tout cas tout aussi durables. Nos historiens qui prédisaient sa fatale infortune en perdirent leur langue. La peinture peut ployer certes, mais elle ne s’avoue pas perdante. 

Quand je rencontrais Cathy Jardon, ou plus exactement ses propositions picturales, je savais d’emblée, dans les secondes qui suivirent, que j’avais affaire à un tempérament, de ceux qu’on n’oublie pas. J’avais affaire à une pensée complexe avec des affirmations qui ne se privaient pas d’audace et des doutes qui fortifiaient encore plus mon attirance et ma curiosité. Pardonnez cette entrée en matière un peu “ lyrique “ ou romanesque, mais j’attache une grande importance aux premiers moments d’une rencontre ; et j’avoue alors avoir ressenti la nécessité de mon déplacement. Les œvres en effet appelaient une confrontation, un vis-à-vis qu’aucune trace photographique ne pouvait remplacer. Si elles m’étaient familières, par leur emprunt à l’histoire des formes et des couleurs, elles ne manquaient pas de me laisser comme étourdi, jouant avec mes nerfs, m’obligeant à repenser cette histoire, dessoudant les références, hurlant leur liberté d’agir comme elles le sentaient. Oui, ces œvres claquaient comme de joyeuses impertinentes. 

Le paradoxe veut que cela soit en Allemagne, lors des années d’apprentissage, qu’entourée d’une peinture obstinément figurative Cathy Jardon décide, en “ expatriée “ comme elle se qualifie, d’interroger l’art abstrait, un art qui l’intrigue, qu’elle dit comprendre le moins mais la capte profondément en l’entraînant vers des réalisations intempestives. Les couleurs tout d’abord, qu’elle avoue dans la vie ne pas aimer, trouvent dans la peinture leur nécessité à s’écorcher dans des formes qui se tordent,ou plissent, qui semblent à tout prix vouloir échapper à quelque ordre immuable. Dès lors il s’agit d’affirmer et d’infirmer à la fois. Affirmer une liberté en déjouant tout formalisme et lacérer le caractère séducteur de la peinture, et de l’art en général.

Wenn die Abstraktion ihren Kopf verliert… und ihre Fassung

Jedes Jahrzehnt erlebt seine Ärzte am Krankenbett einer vermeintlich unfassbaren, auf jeden Fall noch nie da gewesenen Erkrankung, dazu angetrieben, zu diagnostizieren, oft widersprüchliche Rückschlüsse zu ziehen, erforderliche Stärkungen und Ratschläge anzubieten, gegebenenfalls unumgängliche Heilmittel zu liefern. Wie in diesem Bild medizinischer Ungeduld scheint die Kunst diesen erbärmlichen Veitstänzen manchmal auf dem Fuße zu folgen. So hat das zwanzigste Jahrhundert fieberhafte, aufgeregte Kommentare am Krankenbett der Malerei erlebt. Wer hat nicht gelächelt angesichts der sicheren Feststellung des Todes der Malerei? Beunruhigt über den Überdruss der Künstler und ihren Verzicht, dieses oder jenes Medium zu bevorzugen, über ihre Verzweiflung, das von Ahnen, so alt wie unsere schäbigen Höhlen, erschlossene Terrain zu verlassen. Aber zahlreich sind jedoch die, die ausreichend List, Energie und Humor aufbrachten, um die sogenannte Verlorene zu spektakulären oder diskreteren, aber genauso bleibenden Wendungen zu animieren. Unsere Historiker, die ihr verhängnisvolles Unglück voraussagten, verloren dabei ihr Sprache. Die Malerei kann gewiss nachgeben, aber sie erweist sich nicht als Verliererin. 

Als ich Cathy Jardon begegnet bin oder, besser gesagt, ihren Bildern, wusste ich von vornherein, in den Sekunden, die folgten, dass ich es mit einem Temperament zu tun hatte, das man nicht vergisst. Ich hatte es mit einer komplexen Denkweise und mit Behauptungen zu tun, die keiner Kühnheit und keinen Zweifeln entbehrten, die meine Angezogenheit und meine Neugierde noch verstärkten. Verzeihen Sie diesen ein wenig lyrischen und romanhaften Eingang in das Thema, aber ich lege großen Wert auf die ersten Momente einer Begegnung. Und ich gebe zu, gefühlt zu haben, wie notwendig die Reise war. Die Werke forderten in der Tat eine Konfrontation, ein Vis-à-vis, die keine fotografische Spur hätte ersetzen können. Obwohl sie mir durch ihre Anleihe an die Geschichte der Formen und Farben vertraut waren, so verfehlten sie es doch nicht, mich benommen zurück zu lassen, dadurch dass sie mit meinen Nerven spielten, mich dazu zu zwangen, diese Geschichte zu überdenken, indem sie Bezüge verwarfen und ihre Freiheit zu wirken, wie sie es fühlten, laut verkündeten. Ja, diese Werke klatschten wie ungehörig Vergnügte. 

Das Paradox will es, dass Cathy Jardon während ihrer Lehrjahre in Deutschland, umgeben von entschieden figurativer Malerei, als „Auswanderin“, wie sie sich selbst bezeichnet, beschließt, die abstrakte Kunst zu erforschen. Auf diese Kunst ist sie neugierig, eine Kunst, die sie am wenigsten versteht, die sie aber zutiefst fesselt, indem sie die Künstlerin zu unangemessenen Verwirklichungen inspiriert. Zuallererst müssen die Farben, welche die Künstlerin, wie sie selbst zugibt, in ihrem eigenen Leben nicht mag, sich in Formen verzerren, die sich winden oder falten und die scheinbar unbedingt irgendeiner unabänderbaren Ordnung entfliehen wollen. Dann geht es darum, etwas gleichsam zu behaupten und zu widerlegen: Freiheit behaupten, indem jeglicher Formalismus durchkreuzt wird und zugleich den verführerischen Charakter der Malerei, der Kunst im Allgemeinen, auflösen.

Alexandre Roccuzzo, 2020

French Version

A fond la forme

La peinture de Cathy Jardon est immédiate, elle frappe l’oeil et ne vous laisse plus jamais tranquille. C’est une peinture que je trouve belle, je n’ai pas peur de le dire. Une peinture immédiatement reconnaissable, terriblement séduisante et pourtant tellement complexe.

En regardant ses toiles, on y voit des motifs géométriques simples : carrés, rectangles, bandes… qui débordent tous allègrement la surface du tableau. Ce sont des formes qui explosent, qui vous sautent dessus et que l’oeil peut difficilement circonscrire. Il y a une forme d’excès dans la peinture de Cathy Jardon. Des couleurs excessives, parfois à la limite du kitsch, et des formes excessives aussi. On ne sait jamais si l’on se situe dans l’infiniment petit, ou l’infiniment grand, dans la physique moléculaire ou l’astronomie. On ne sait jamais si les formes définissent les couleurs ou l’inverse. J’ai parfois l’impression d’assister devant sa peinture à un

mariage contre-nature entre l’efficacité de l’abstraction et l’audace du Baroque. De l’abstraction elle aurait gardé la rigueur implacable des compositions, presque scientifiques ; et du baroque on ressentirait l’expressivité et le mouvement. Il y a aussi quelque-chose de primordial dans la peinture de Cathy Jardon : c’est la joie. Je dis bien la joie, et non pas le bonheur qui me semble plus artificiel. Sa joie de peindre, de lire, d’expérimenter se ressent immédiatement dans ses peintures. Ses toiles nous donnent envie de sourire. C’est une peinture « à fond la forme » dans tous les sens du terme (pour paraphraser un slogan d’une grande enseigne d’articles de sport).

J’ai déjà parlé d’excès, puis de joie, je voudrais rajouter la malice. Lorsqu’elle fait référence à d’autres artistes dans son travail – à Donald Judd ou à Yves Klein entres-autres – Cathy Jardon prend la liberté de peindre de la sculpture ou de la

peinture. Certaines formes, certaines couleurs sont en effet aujourd’hui tellement rattachées à tel ou tel artiste qu’il suffit de les évoquer pour qu’ils apparaissent devant nous. En effet, si l’on voit du rose, du doré et du bleu on se dit : « tiens, Yves

Klein ! ». Mais, Yves Klein n’est pourtant pas présent. Le rose, le doré, le bleu ne sont pas la propriété exclusive de Klein – à ce rythme-là, il ne resterait plus de couleurs ou de formes utilisables par les artistes. Pourtant ces couleurs, ces formes

sont devenues de tels symboles qu’elles portent en elles ces artistes. C’est donc avec malice que Cathy Jardon reprend et déjoue certaines de ces associations. Dans l’oeuvre DJ de 2018, on peut reconnaitre assez rapidement les fameux

Stack de Donald Judd. Lorsqu’il débute sa série des Stack (empilement) en 1965, Donald Judd cherche à abolir la frontière entre peinture et sculpture. Que se passet-

il dès lors, si l’on peint un Stack, si l’on représente de manière figurative un objet abstrait ? Et bien, il me semble que cela donne une abstraction figurée, sorte de « Frankenstein visuel » quelque peu alambiquée, mais assez jubilatoire. Dans DJ on

ne voit pas le mur, ni le sol, juste cet empilement flottant presque dans le vide comme une image 3D.

Or, Justement, depuis cette année, Cathy Jardon a introduit une forme particulière de figuration dans sa peinture. Ces dernières oeuvres sont des figurations abstraites, si je peux oser cet oxymore. On y voit des monochromes peints (et non pas des peintures monochromes), une croix d’or qui n’est rien d’autre qu’une boîte dépliée, un avion en papier bleu (« tiens, Yves Klein !»), une feuille blanche, etc. Ces objets, sont encore avant tout des formes, simples géométriques, colorés, et pourtant complexes. Comme cette petite fenêtre bleue tout droit sortie d’un logiciel 3D qui aujourd’hui nous amuse par son esthétique un peu dépassée, alors qu’il y a dix ou quinze ans on y voyait le summum du réalisme numérique. Peindre une fenêtre ce n’est pas anodin. On dit souvent qu’un tableau est une fenêtre sur le monde – et d’autres banalités de ce genre. Et en plus cette fenêtre est bleue (« tiens, Yves Klein ! »), mais pas d’un bleu du ciel, d’un bleu artificiel, d’un mauvais bleu informatique. Tout se complique, une fenêtre est figurative, mais c’est une image tirée d’un fichier numérique, donc déjà une abstraction en soi. Elle flotte sur la toile, sans mur pour la soutenir, comme la peinture représentant un Stack de

Donald Judd, mais la toile, elle, est pourtant faite pour être accrochée à un mur. Je ne dis pas que c’est une peinture conceptuelle, car toute peinture est conceptuelle quoi qu’il arrive, mais c’est une peinture à double effet. Le premier regard est attiré par la clarté de la composition et la force des couleurs, puis l’on se perd dans des réflexions et des questionnements sans fins sur la forme et la finalité de la peinture. Je crois que c’est ça qui est fascinant dans le travail de Cathy Jardon, il se situe sur le fil du rasoir entre décoratif et scientifique. Je crois que le terme « excessif » pour désigner sa peinture convient particulièrement tant les formes excédent la toile, et sa « recette intellectuelle » pour les produire excède largement ce qu’on y voit au premier abord.

Celle ou celui qui a dit qu’on pouvait tout représenter avec de la peinture n’est pas au bout de ses surprises. On peut tout représenter en peinture, et avec Cathy Jardon, on peut tout y voir !

Wenn die Abstraktion ihren Kopf verliert… und ihre Fassung

Jedes Jahrzehnt erlebt seine Ärzte am Krankenbett einer vermeintlich unfassbaren, auf jeden Fall noch nie da gewesenen Erkrankung, dazu angetrieben, zu diagnostizieren, oft widersprüchliche Rückschlüsse zu ziehen, erforderliche Stärkungen und Ratschläge anzubieten, gegebenenfalls unumgängliche Heilmittel zu liefern. Wie in diesem Bild medizinischer Ungeduld scheint die Kunst diesen erbärmlichen Veitstänzen manchmal auf dem Fuße zu folgen. So hat das zwanzigste Jahrhundert fieberhafte, aufgeregte Kommentare am Krankenbett der Malerei erlebt. Wer hat nicht gelächelt angesichts der sicheren Feststellung des Todes der Malerei? Beunruhigt über den Überdruss der Künstler und ihren Verzicht, dieses oder jenes Medium zu bevorzugen, über ihre Verzweiflung, das von Ahnen, so alt wie unsere schäbigen Höhlen, erschlossene Terrain zu verlassen. Aber zahlreich sind jedoch die, die ausreichend List, Energie und Humor aufbrachten, um die sogenannte Verlorene zu spektakulären oder diskreteren, aber genauso bleibenden Wendungen zu animieren. Unsere Historiker, die ihr verhängnisvolles Unglück voraussagten, verloren dabei ihr Sprache. Die Malerei kann gewiss nachgeben, aber sie erweist sich nicht als Verliererin. 

Als ich Cathy Jardon begegnet bin oder, besser gesagt, ihren Bildern, wusste ich von vornherein, in den Sekunden, die folgten, dass ich es mit einem Temperament zu tun hatte, das man nicht vergisst. Ich hatte es mit einer komplexen Denkweise und mit Behauptungen zu tun, die keiner Kühnheit und keinen Zweifeln entbehrten, die meine Angezogenheit und meine Neugierde noch verstärkten. Verzeihen Sie diesen ein wenig lyrischen und romanhaften Eingang in das Thema, aber ich lege großen Wert auf die ersten Momente einer Begegnung. Und ich gebe zu, gefühlt zu haben, wie notwendig die Reise war. Die Werke forderten in der Tat eine Konfrontation, ein Vis-à-vis, die keine fotografische Spur hätte ersetzen können. Obwohl sie mir durch ihre Anleihe an die Geschichte der Formen und Farben vertraut waren, so verfehlten sie es doch nicht, mich benommen zurück zu lassen, dadurch dass sie mit meinen Nerven spielten, mich dazu zu zwangen, diese Geschichte zu überdenken, indem sie Bezüge verwarfen und ihre Freiheit zu wirken, wie sie es fühlten, laut verkündeten. Ja, diese Werke klatschten wie ungehörig Vergnügte. 

Das Paradox will es, dass Cathy Jardon während ihrer Lehrjahre in Deutschland, umgeben von entschieden figurativer Malerei, als „Auswanderin“, wie sie sich selbst bezeichnet, beschließt, die abstrakte Kunst zu erforschen. Auf diese Kunst ist sie neugierig, eine Kunst, die sie am wenigsten versteht, die sie aber zutiefst fesselt, indem sie die Künstlerin zu unangemessenen Verwirklichungen inspiriert. Zuallererst müssen die Farben, welche die Künstlerin, wie sie selbst zugibt, in ihrem eigenen Leben nicht mag, sich in Formen verzerren, die sich winden oder falten und die scheinbar unbedingt irgendeiner unabänderbaren Ordnung entfliehen wollen. Dann geht es darum, etwas gleichsam zu behaupten und zu widerlegen: Freiheit behaupten, indem jeglicher Formalismus durchkreuzt wird und zugleich den verführerischen Charakter der Malerei, der Kunst im Allgemeinen, auflösen.